Stages en suspens – et où se construira l’avenir du métier ?

Sep 2, 2020 by

Nous sommes des enseignants qui, à titres divers, participons à la formation d’éducateurs spécialisés au niveau supérieur, dans des écoles de différents réseaux, relevant tant de l’enseignement de plein exercice que de la Promotion sociale.

Les dispositions qui sont prises actuellement dans le cadre de la lutte contre la pandémie, trop souvent en ordre dispersé, affectent profondément la pratique professionnelle en stage. Nous souhaitons attirer l’attention des responsables, à différents niveaux, sur les effets que ces décisions ont pour les professionnels comme pour les étudiants, bien sûr, mais aussi pour les personnes accompagnées.

Comme pour beaucoup de cursus qui concernent les « métiers de l’humain », un des fondements essentiels de notre formation se trouve dans la pratique professionnelle, ces « stages » où les étudiants ont l’occasion d’expérimenter et d’élaborer peu à peu leur posture dans la rencontre des personnes qu’ils accompagnent ou qu’ils éduquent en étant encadré d’un côté par les professionnels sur le terrain et d’autre part par les enseignants.

Educateur spécialisé n’est en effet pas un métier qu’on exerce en appliquant des théories ou des manières de faire prédéterminées ; ce n’est pas non plus comme cela qu’on l’apprend.

Sans mettre de côté la réflexion et tout ce qui peut la nourrir, sans rejeter l’apprentissage de certaines techniques, il s’agit pour chacun d’aiguiser sa capacité à rencontrer les personnes en situation singulière et à les accompagner dans leur devenir de la manière la plus adéquate. Seule la confrontation durant le stage aux réalités du terrain, accompagnée et réfléchie dans le cadre de la formation, permet à l’étudiant cette part de l’apprentissage.

Si le stage est un axe de la formation, recevoir un ou des stagiaires dans une équipe de professionnels est la plupart du temps une ressource et une richesse. En effet, passé les premiers jours, le stagiaire va prendre en charge des aspects parfois délaissés du travail ; c’est lui qui va venir « en plus » pour consacrer du temps à cet enfant qui a besoin d’attentions et de sollicitations pour se concentrer sur ses devoirs, ou pour simplement permettre à une personne âgée, parlant avec elle le temps de son repas, de retrouver l’appétit de vivre avec les autres. C’est lui qui va peut-être sortir l’équipe d’un fonctionnement routinier, souvent sans le faire exprès, par ses questions « naïves » ou en proposant une manière de s’y prendre qu’on n’imaginait pas.

L’étudiant évolue ainsi au cœur d’un partenariat école-institution construit au fil des années qui contribue à dessiner l’avenir d’un métier et la reconnaissance d’une profession.

Sur le terrain, la pandémie touche gravement nombre d’institutions. Par la force des choses, des dispositions spécifiques contraignant ou limitant les activités ou les intervenants ont été prises, avec des conséquences dramatiques pour les personnes les plus fragiles et laissant dans l’ombre les éducateurs qui sont aussi des acteurs de première ligne.

Pour en revenir à nos lieux de formations[1], nous pressentons déjà les obstacles que nous allons rencontrer pour la réalisation des stages. Beaucoup d’institutions refusent des stagiaires au nom du principe de précaution ; un étudiant qui avait vu son stage confirmé il y a 15 jours s’entend dire que finalement il ne pourra pas intégrer l’institution, les consignes ayant changé ; une MRS accepte les étudiants aides-soignants ou infirmiers mais refuse les éducateurs spécialisés, etc.

Toutefois, ces institutions se rendent-elles compte, pour elles-mêmes, de ce qui est en jeu dans leur refus ? Par exemple, restreindre l’accès des stages en MRS ou dans les services hospitaliers aux seuls paramédicaux traduit une tendance à minimiser l’importance de l’approche relationnelle au profit du soin, alors que tous les témoignages ont montré combien le défaut de contact a été destructeur durant les mois de confinement. Le stagiaire éducateur spécialisé, tout comme l’éducateur formé, bien sûr, peut particulièrement répondre à ce besoin et compléter l’approche des autres intervenants.

Plus que jamais dans cette période, le partenariat que nous pouvons nouer avec les institutions de terrain peut être fructueux. La Ministre ne met aucun interdit aux activités de stage, tout en renvoyant aux règles en vigueur dans les services et institutions. Nous demandons que ces derniers appliquent rigoureusement, mais sans les durcir ou les radicaliser, les règles valant pour les professionnels œuvrant en leur sein. Nos étudiants sont capables, en étant préparés et encadrés dans leurs écoles, de se comporter de manière responsable quant au respect de ces règles sanitaires.

Tout ce qui peut être créateur de confiance et donner des garanties doit être mis en place. Depuis plusieurs années, les stagiaires sont soumis aux mêmes contrôles que les professionnels via la médecine du travail. Aujourd’hui, dans la même perspective, ces stagiaires peuvent être testés sur le lieu de stage ou via une demande de leur médecin traitant. De plus, les conventions de stage contractualisent les responsabilités entre l’établissement d’accueil et le lieu de formation.

Au-delà de cet appel que nous faisons aux responsables d’institutions ou de services, nous souhaitons également sensibiliser les ministères concernés par l’enseignement supérieur, l’Aide à la Jeunesse, la santé, l’AVIQ, etc., pour qu’ils rappellent l’importance à tous niveaux de l’accueil des stagiaires.

Très concrètement, la prise en charge du testing des étudiants stagiaires engagés dans tous les secteurs de l’aide aux personnes serait également une manière de soutenir les étudiants[2], comme les écoles et les institutions.

Nous rappelons enfin à tous les responsables d’institutions ou de services que, comme écoles, nous souhaitons poursuivre les partenariats déjà noués, en ouvrir d’autres, et que cela nous engage plus que jamais à envisager avec chacun d’eux la manière de préparer et d’accompagner au mieux nos étudiants pour qu’ils s’inscrivent de manière responsable et fructueuse auprès d’eux dans leur pratique professionnelle.

 

Form’Educ

https://formeduc.be/ (contact via le site)

le 02/09/2020

[1] Nous savons combien de questions pose cette année la rentrée dans tous les secteurs de l’enseignement. Pour notre part, nous sommes encore en train de nous interroger sur la manière dont nous allons pouvoir assurer un maximum de cours en « présentiel » (cette horrible expression qui n’existe que pour désigner l’inverse du « virtuel ») quand la taille des groupes est fortement limitée, les locaux et les horaires inadaptés, alors que la présence à l’autre, les contacts et la confrontation sont essentiels pour le métier comme pour la formation.

 

[2] Tant qu’à présent, ce testing est à leur frais !

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